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    Pierre, dans sa ferme du Trévoux, son éternelle clope à la main. Photo Joël Le Gall

     

    Pierre Toulgoat, 91 ans et agriculteur au Trévoux, dans le Finistère, a joué dans Elle s'en va, en salle ce mercredi. Ou quand la mémoire d'un petit village croise la route d'une étoile du grand écran.

    Il avait bien « entendu parler » de Catherine Deneuve. Mais de là à jouer avec elle dans un film ! Des étoiles, le paysan du Trévoux, commune de 1 600 âmes près de Quimperlé, dans le Finistère-Sud, n'en avait vu que dans les ciels nocturnes qui veillent sur sa ferme. « Même à mon âge, j'ai été impressionné ! », glisse l'ancien.

    Pierre Toulgoat a ouvert les yeux « le samedi 21 septembre 1922, à 23 h 45 ». Il a connu la France d'avant-guerre, allait à l'école « à pied et en sabots » et a passé sa vie à cultiver ses vingt-six hectares de terre. Entouré de ses trois chevaux, sa dizaine de cochons et ses quinze vaches laitières.

    Sa maison au sol en terre battue est restée figée dans le temps. Elle abrite un vieux pressoir à pommes et une immense cheminée, depuis longtemps centenaire. « Catherine Deneuve n'en avait jamais vu une comme ça », répète fièrement Pierre.

    À 91 ans, il conduit toujours son tracteur, ramasse ses patates, fait son cidre et la gnôle qui en découle, le lambig. Sans quitter Max, son fidèle berger allemand.

    « Vous savez que ce n'est pas son vrai nom ? »

    Un jour du printemps 2012, André Fraval, à la fois maire, boucher-charcutier-traiteur et président du club de foot des Coquelicots, reçoit un coup de fil de gens du cinéma. Là-bas, à la capitale. « L'équipe de réalisation du film Elle s'en va cherchait un vieux bureau de tabac, une équipe de foot, un champ de maïs et un ancien, authentique, qui rentrait dans le cadre », raconte l'élu.

    Ils sont bien tombés : il y a tout ça au Trévoux. La commune a déjà été choisie pour le tournage de la série Doc Martin, avec Thierry Lhermitte sur TF1, en juin et septembre 2012.

    Quand le maire apprend à Pierre qu'on lui propose un petit rôle dans un film, l'ancien ne se démonte pas. « On m'a emmené à Quistinic, dans le Morbihan pour deux jours de tournage. Ma doue, ma doue, ma doue, qu'il faisait chaud ! Je devais attendre une voiture dans laquelle arrivait l'actrice, au bord de la route, en face de l'église. Au fait, vous savez que ce n'est pas son vrai nom ? Elle s'appelle Catherine Dorléac ! », s'enthousiasme-t-il.

    « La seule scène improvisée »

    Il revit la scène : « Je devais taper sur le pare-brise et faire le tour de la voiture. Catherine Deneuve cherchait des cigarettes. On est rentrés dans une grande maison de campagne. Il y avait tellement de monde ! J'ai compté : quinze personnes rien que pour s'occuper du matériel. Gast ! J'ai été bien reçu, la nourriture et tout... » Pierre avait troqué son bleu, ses charentaises et sa casquette contre son plus beau costume du dimanche. Mais pas son éternelle clope logée au coin des lèvres. De l'Ajja 17 jaune à rouler.

    Pour Emmanuelle Bercot, la réalisatrice, « il s'est produit un miracle. Ses mains m'ont sidérée. » Avec l'âge, elles sont déformées par l'arthrose et Pierre s'en est blessé une dans un accident de tracteur. « Il a sorti une machine à rouler. Je lui ai crié : « Non, Pierre, tu la roules avec tes mains ». Le tournage a duré deux heures trente. C'est la seule scène improvisée. » « Catherine Deneuve n'avait jamais vu une cigarette comme ça », sourit Pierre. Dodue, comme il les affectionne.

    « Elle est gentille, Catherine Deneuve »

    De son côté, l'actrice se souvient d'un moment « vraiment étonnant. À l'origine, le rôle de Pierre devait être joué par un acteur amateur parisien, qui s'est désisté. Il a fallu trouver quelqu'un au dernier moment. Emmanuelle a rencontré ce vieux monsieur. La scène ne devait pas être aussi longue, mais il m'a raconté des choses incroyables. Emmanuelle a mis la caméra en route. Pierre a parlé de vieux souvenirs, comme de sa fiancée... J'étais bouleversée. J'ai ensuite voulu voir où il vivait. » De la visite de la star, il reste quelques photos d'eux aux murs de la cuisine. Dont une, dédicacée.

    « Pierre est un hospitalier : il reçoit du monde chaque jour », témoigne André Fraval. Comme de nombreux autres habitants, le maire a aussi joué un rôle de figurant. À l'image des buralistes du bourg, installés depuis les années 1950, Marie-Anne et Yves Massé, tous deux octogénaires. « Elle est gentille, Catherine Deneuve. Concentrée, dans son rôle. Mais accessible », se souvient le commerçant. « Depuis, des curieux viennent voir le tabac », ajoute son épouse.

    La municipalité va organiser une sortie au cinéma pour les figurants. Pierre en sera. Mais ce ne sera pas mercredi. Il faudra attendre que le petit cinéma de Moëlan-sur-Mer, le plus proche du Trévoux, récupère la bobine...

    Article paru dans Ouest-France sous la plume de Pierre Fontanier


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