• En avoir assez, en avoir marre. Être fatigué de faire de faire quelque chose. L’expression « en avoir ras le bol », très usitée et connue de nos jours, ne signifiait pas simplement « en avoir sa claque », en avoir marre…

    Elle, elle était beaucoup plus obscène et se rapprochait plutôt de l’expression « en avoir plein le cul » (pardonnez la vulgarité). En effet, le mot bol, désignant au préalable un récipient, est attestée en argot, dès 1872 selon Esnault, avait le sens de « cul, anus ».

    Notons qu’Alain Rey explique dans son Dictionnaire historique de la langue française que le terme ras désigne, en 1191, une mesure remplie jusqu’au bord sans en excéder la limite. Ce serait en 1606 que ras, substantivé donnera naissance à la locution adverbiale « à ras » dans le sens de très près. La locution familière, « en avoir ras le bol », a donné dès 1872 de nombreuses variantes où toutes sortes de récipients (pot, vase, bock, bocal…) prennent, par métaphore, le sens de « cul » ou « anus », comme « avoir du pot ». Cependant, ce n’est qu’en 1968 que l’expression « en avoir ras le bol » connaît un grand succès lors « du ras-le-bol général ».

    Julie Amerlynck précise dans son livre Phraséologie potagère, les noms de légumes dans les expressions françaises… édité en 2006, qu’une confusion se crée entre bol, cul et tête lors de la généralisation de la locution « en avoir ras le bol ».

    En effet, la population rapproche cette locution à d’autres expressions telles que « la coupe est pleine », « c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase » ou « en avoir par-dessus la tête », ce qui a le mérite d’ôter la notion grivoise originelle de notre expression première.

    Depuis d’autres expressions sont nées sur la même image d’associations « bol-tête » où la notion de « bol-anus » n’est plus soupçonnée…

    Fort heureusement, il s’agit de locutions telles que « en avoir ras la casquette, le képi ou le bonnet », « ras la tasse, la théière, la cafetière ou la marmite » ou « ras la frange ou la coiffe », mais aussi « en avoir ras le chou, la calebasse ou la patate », dernières expressions où le légume prend, par analogie de forme, la place de la tête.


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  • Cette formule a immortalisé dans la langue un évènement de la petite histoire qui a eu lieu le 10 juillet 1547, devant le château de Saint-Germain-en-Laye en présence du roi Henri II et de la cour. Les duellistes étaient Guy Chabot de Jarnac, l’offensé, et François de Vivonne de la Châtaigneraie, l’offenseur, réputé le plus habile au maniement des armes. Au cours du combat, Jarnac porta un coup imparable, qui consistait à feindre de laisser tomber son arme et à trancher le jarret de l’adversaire. La Châtaigneraie mourut quelques jours plus tard.

    Le coup de Jarnac fut à l’époque considéré comme loyal. La postérité a oublié la régularité originelle de cette botte, et, lorsqu’on l’emploie « coup de Jarnac » aujourd’hui, c’est pour désigner une atteinte, généralement perfide et déloyale, portée par surprise et de manière décisive à un adversaire redouté.


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  • Si cette locution dans le sens qu’elle a de nos jours, « se tromper grossièrement », n’est répertoriée que depuis le XIXème siècle, elle s’inscrit dans une métaphore très ancienne qui remonte au XIIIème siècle sous les formes « vendre vecies por lanternes » puis « faire de vessies lanternes ». Au XVème siècle, par exemple, on lit dans la fameuse Farce de Maître Pathelin : « Me voulez-vous faire entendant de vecies que ce sont lanternes ? ».

    Dans cet exemple on a à peu près un équivalant de « faire prendre des vessies pour des lanternes », « faire croire des choses absurdes et bizarres », selon la définition du Littré.

    On retiendra comme point commun à ces deux mots, sur lesquels on n’a pas manqué d’épiloguer à loisir en raison de leur valeur métamorphique, que la locution première est synonyme de « vendre du vent ».

    Toujours bien vivante en raison de son pittoresque, la locution a divers synonymes, imagés eux aussi : à « prendre des vessies pour des lanternes » correspondent les familiers « mettre à côté de la plaque », « se fourrer le doigt dans l’œil », « se foutre dedans », tandis que « faire prendre des vessies pour des lanternes » a comme équivalent « faire marcher », « mener en bateau », « rouler dans la farine » ou, dans l’ouest de la France, « faire croire que la lune est une crêpe ».


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  • Au sens propre : habiter une maison neuve

    Au sens figuré : être le premier à subir les conséquences fâcheuses d’une situation expérimentale ou d’une période de nouveautés.

     

    « Essuyer les plâtres » est une expression connue depuis 1783 mais n’entre dans les dictionnaires qu’à partir de 1835. Ce retard est sans doute dû à la pratique peu convenable associée à cette locution.

     

    Le plâtre désigne le sulfate de chaux hydraté que l’on emploie en construction (puis par métonymie ce qui est fabriqué en plâtre), ainsi lorsque l’on se trouve être le premier à habiter une maison neuve où le plâtre est encore humide on « essuie les plâtres » !

     

    Cette situation causait de nombreux désagréments physiques… Il semblerait qu’à l’époque on donnait on donnait ces maisons aux filles publiques jusqu’à ce que les plâtres soient secs, c’est alors qu’on les mettait dehors sans façon pour récupérer et habiter le logement. Peut-être est-ce alors la situation de ces femmes qui a donné naissance au sens figuré de cette expression : être le premier à subir les difficultés, les conséquences et les désagréments d’une situation nouvelle, d’une période d’essai.

     

    Claude Duneton dans son livre La puce à l’oreille fait référence à Louis-Sébastien Mercier qui souligne cette pratique douteuse en 1783 dans son Tableau de Paris, situation soulignée par Théophile Gautier en 1845.

     

    « Les plâtres que l’on emploie dans la construction des maisons font beaucoup de mal, parce qu’ils sèchent difficilement, et que l’on habite imprudemment les édifices nouvellement bâtis. Il n’y a rien de plus dangereux ; la vapeur des murs est funeste et cause des accidents innombrables. Ces émanations enfin ont dans nos foyers des influences meurtrières. De là des paralysies et autres maladies, dont l’origine est attribuée à des causes étrangères. On abandonne ces maisons neuves et humides aux filles publiques ; on appelle cela essuyer les plâtres », Louis-Sébastien Mercier Tableau de Paris, 1783.

     

    « Ces locataires des bâtisses récentes reçurent dans l’origine le surnom disgracieux, mais énergique, d’essuyeuses de plâtres ». L’appartement assaini, on donnait congé à la pauvre créature, qui peut-être y avait échangé sa fraîcheur contre des « fraîcheurs ? » Théophile Gautier, 1845.

     

    On retrouve aussi cette notion chez Delvau, en 1867, en ces termes :            « Essuyer les plâtres » : habiter une maison récemment construite, dont les plâtres n’ont pas encore eu le temps de sécher. Alfred Delvau, Le dictionnaire de la langue verte, 1867.


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    Je vous écris parce que je voudrais que cela change


    Margot a 22 ans et nous a écrit une lettre sur la mort de Germain, son grand-père, âgé de 92 ans et atteint d'un cancer généralisé. Nous reproduisons en intégralité ce texte qui interroge sur le droit à mourir dans la dignité.

     

     

    Madame, Monsieur,

    Je vous écris la présente parce que mon grand-père, Germain, fidèle lecteur de votre magazine, est décédé. Il s’est suicidé. À 92 ans. Pendu dans la nuit du 20 au 21 mars 2016. Je vous écris parce que j’aimerais que les choses changent.

    Mon grand-père était un homme fort, vif, bienveillant et aimant.          Garçon-boucher puis contremaître, il a œuvré toute sa vie pour que les siens ne manquent de rien. Six jours sur sept, dix heures par jour, depuis ses 14 ans. Il est tombé malade à la fin de sa vie. Depuis plusieurs années, il avait un cancer de la prostate. Il l’ignorait. Il ne fallait pas poser le mot « cancer » sur sa maladie, encore moins le mot « généralisé ». Cela n’était pas plus mal : à 56 ans, il a vu l’amour de sa vie, Jeanne, ma grand-mère, s’éteindre après sept années de souffrances dues à un cancer du sein. Sa douleur l’avait horrifié. Il était marqué par ce drame. Il en pleurait encore.

    Mais à plus de 90 ans, il a lutté. Jusqu’au bout, il a gardé toute sa tête, sa mémoire, son entrain et sa gaieté. Il a lutté jusqu’à n’en plus pouvoir. Il ne s’est jamais plaint ouvertement de la douleur, sauf à la fin. Des métastases dans les os le faisaient souffrir, il se plaignait uniquement auprès de mon frère, pour que celui-ci le masse. Cela le soulageait un peu. Il tenait à sa dignité. Mais il tenait surtout à nous protéger, moi, sa petite-fille, mon frère et ma mère.

     

    Je vous écris parce que je voudrais que cela change


    Nous avons vécu auprès de lui de nombreuses années. Depuis le divorce de mes parents – j’avais 3 ans, j’en ai 22 aujourd’hui –, nous vivions chez lui. Il nous avait recueillis, comme des oisillons tombés du nid. Il ne voulait pas que ceux qu’il a élevé le voient souffrir et souffre pour lui. Dans des conditions glaçantes, il s’est pendu, à l’aube de ses 93 ans.

    Je vous écris parce que je voudrais que cela change. Mon grand-père ne méritait pas cela. L’homme qui m’a élevé, qui m’a donné tout ce que j’ai et fait de moi celle que je suis méritait une mort digne. Ma maman ne méritait pas non plus de trouver, un lundi matin, son papa pendu à la potence de son lit médicalisé. Mon frère ne méritait pas de perdre son modèle, son repère, dans de telles conditions. Personne ne méritait rien. Mais en France, on ne peut pas mourir sereinement, en paix, entouré des siens, comme en Suisse ou en Belgique. Je voudrais que sa mort, sa délivrance, serve. Je voudrais qu’on prenne conscience des choses.

    La mort n’est et ne doit pas être tabou. On doit pouvoir choisir de s’éteindre paisiblement, lorsque l’on sait que seule la souffrance nous attend, tapie dans l’ombre. Interdire l’euthanasie des personnes condamnées ne crée que de la souffrance. Je voudrai que sa mort permette de faire avancer la législation. Je voudrai qu’on laisse le choix aux personnes malades, qu’on permette à nos aïeux de ne pas souffrir devant leurs petits-enfants et leurs enfants. Le suicide ne devrait pas être leur seule échappatoire. La dernière image que nous devrions garder de notre grand-père et de notre père ne devrait pas être celle d’un pendu. Je ne devrais pas frémir en voyant une cordelette. Passer le seuil de la maison de mon grand-père, où j’ai passé mon enfance, ne devrait pas me glacer le sang, m’évoquer sa mort.

    Je vous écris parce que je pense que ces considérations peuvent toucher vos lecteurs, peuvent vous toucher. On ne parle pas assez de ce sujet, on ne pense pas assez à ces personnes souffrantes. Un vieil homme de 92 ans a dû rassembler ses dernières forces pour se donner la mort plutôt que de les consacrer à serrer les siens dans ses bras, une dernière fois. Après une vie à donner aux autres, j’aurais voulu qu’on lui donne une belle mort.

    Saint-Omer, le 29 mars 2016. Margot


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